La traversée de la crise a rendu nécessaire, de manière très concrète, le besoin de coopération. L’initiation de ce réseau “Se réunir pour l’après” en est l’exemple-même. Alors que nous nous retrouvions tous isolés et à l’arrêt, nous avons pris le temps d’interroger nos pratiques et celles des autres. D’ailleurs, de nombreux réseaux et groupes de travail ont vu le jour en région et dans toute la France. Ces échanges mettent en valeur l’obsolescence de l’individualisme en faveur du faire ensemble. Si l’idée est vertueuse, elle semble aujourd’hui s’ancrer dans une volonté d’actions très concrètes.
Aussi, il nous semble important de redonner une grande attention à nos manières de faire, re-questionner le fond, les menus détails qui enracinent nos démarches. Il s’agit alors de dégager des espaces-temps pour résister au système mercantile, pour déjouer les rouages actuels qui écrasent nos démarches et garder une veille sur le sens de nos projets.
Il est temps de porter une voix commune. Employer le « Nous » fait gagner en force collectivement, et par conséquent, nous rend plus fort individuellement.

CONSTATS ET PROBLÉMATIQUES
Espaces de rencontre et mutualisation entre artistes
La première difficulté à la formalisation de ce réseau a été la recherche de lieux pour nous retrouver.
Cette question est au cœur même des problématiques de compagnies. Nous travaillons généralement de manière nomade et éclatée, les espaces de rencontres pour la danse demeurent limités. En souhaitant nous réunir et organiser une parole libre et représentative, nous avons eu du mal à trouver un espace de neutralité.
Nous avons choisi de solliciter le CND, qui est avant tout un lieu de ressource, et le studio Lucien, nouvellement dirigé par la Cie Chatha, qui affiche une véritable volonté de faire de ce lieu le lieu des compagnies de la région. L’urgence est donc la création de nouveaux espaces pour les compagnies chorégraphiques. Dans une région aussi grande que la nôtre, nous manquons cruellement de studios, d’espaces de vie et de rencontres indépendants où TOUS seraient les bienvenus.
Nous avons besoin d’inventer des espaces-temps plus durables qui ne seraient pas assujettis aux projets et aux partenariats. Nous avons besoin d’espaces de liberté pour se rencontrer, partager, mutualiser, générer de la pensée active. Car il y a des choses que nous pourrions mettre en place facilement. En effet, en mutualisant un lieu, nous pourrions mutualiser des ressources matérielles et immatérielles, voire des ressources humaines.
Quelques exemples sont évoqués : la co-gestion d’espace de stockage, le partage d’espaces de bureaux, la mise à disposition d’espaces de répétition, le partage de savoir-faire, la participation à des groupes de travail, la diffusion des appels à projet ou manifestations, le partage de fichiers…
Cette mise en commun d’outils et de méthodes nous permettrait une économie plus juste, plus écologique, et surtout des échanges plus équitables basés sur la réciprocité, l’entraide et la solidarité.
Rayonnement des compagnies au niveau régional, national et international
Des compagnies qui œuvrent ensemble, oui, mais afin d’éviter l’entre-soi, qui pourrait nuire à nos efforts de mise en commun et à notre aspiration à plus de porosité entre les réseaux de notre secteur d’activités, la discussion avec les acteurs culturels, partenaires et pouvoirs publics, doit aussi trouver son espace.
Nous avons conscience, que depuis les années 90, le travail de réflexion amorcé par nos prédécesseurs sur l’art chorégraphique et l’évolution de son environnement, a permis de grandes avancées, avec notamment l’arrivée de conseillers danse dans les DRAC et la création du Centre national de la danse. Mais, aujourd’hui, nous constatons que les lieux de diffusion labellisés par le Ministère de la Culture ne suffisent pas à présenter l’art chorégraphique dans tout son spectre tant les propositions artistiques sont foisonnantes.
Nous ressentons le besoin d’un interlocuteur en région qui aurait une vision large du réseau de la danse et qui participerait au rayonnement et à la mise en lien des compagnies, au niveau régional (lieux-ressources, tiers-lieux, groupe des 20 et tout réseau régional soutenant les compagnies, comme Le Maillon, réseau des bureaux de productions…) mais également au niveau national (CCN, CDC, réseau des scènes nationales, tous les réseaux œuvrant pour le milieu chorégraphiques, réseau des scènes conventionnées danse/art et création…), et au niveau international (ONDA, IETM…).
Rôle de l’agence régionale AURA spectacle vivant dans la coopération
Collaborer davantage avec l’agence Auvergne-Rhône Alpes spectacle vivant nous semble une évidence.
Cependant son rôle, son fonctionnement et ses objectifs demeurent, pour la plupart des compagnies, encore assez “flous”. Aussi, il nous paraît nécessaire d’ouvrir la discussion et de comprendre comment cette agence se positionne sur le territoire régional, mais également en coopération avec les autres agences régionales.
En effet, pour une meilleure circulation des expériences en faveur des projets et des œuvres artistiques, nous évoquons, comme source d’inspiration, La collaborative, réunissant les cinq agences régionales suivantes : l’Agence culturelle Grand Est, l’OARA Nouvelle-Aquitaine, l’Occitanie en scène, l’ODIA Normandie et Spectacle vivant en Bretagne.
Nous cherchons à ouvrir un dialogue sur d’autres possibles, à réfléchir ensemble avec bienveillance, pour un élan vertueux vers de nouvelles mises en œuvre.
Partenariat et association entre lieu culturel et compagnie
L’association d’un lieu avec une compagnie, tel qu’il existe aujourd’hui, permet de dégager des espaces de collaborations.
Travailler sur le long terme, nous permet de mieux nous connaître. Mais que signifie « être associés » ? Peut-être devrions-nous emmener plus loin le partenariat et dépasser le schéma classique de “résidence-coproduction-actions culturelles-diffusion”. Ce cadre normé systémique engage une certaine efficacité bien sûr au soutien à la création, mais occulte parfois la possibilité d’être singulier dans une collaboration active et vivante. Ces cadres normés sont parfois antinomiques avec les singularités de la création. Pourrions-nous imaginer d’autres espaces de collaborations ?
Comment imaginer une association à un lieu et à un espace, à l’image d’une création ? Comment penser l’association comme un projet singulier qui n’est pas forcément un projet qui se glisse « tout prêt à l’emploi » dans les modalités habituelles d’association ?
Aussi, la question du terme « association » se pose. Que met-on réellement en commun ? Quelle est vraiment notre capacité à nous adapter au projet de l’autre ? Afin d’être dans un rapport plus poreux et plus transversal, pourrions-nous imaginer des co-directions ? Comment les compagnies pourraient-elles aussi s’impliquer en toute bienveillance dans les missions des lieux et de leurs équipes permanentes ?
Il nous apparaît important de trouver les moyens de mettre en lien nos aspirations artistiques originelles avec les besoins et aspirations des lieux culturels.
Vers un meilleur engagement dans la coproduction
Aujourd’hui l’association classique autour d’une création entre compagnie et théâtre demeure la coproduction.
Mais elle est souvent très déconnectée des nombreux enjeux qui pèsent sur un projet. Elle se limite souvent à une aide financière et n’engage pas le partenaire dans la démarche artistique, ni dans la viabilité de l’œuvre en termes de diffusion par exemple. Certains partenaires limitent même leur engagement à un simple apport financier et n’accueillent ni la pièce en résidence, ni en programmation ! D’autres, au contraire, ne peuvent pas accompagner le projet financièrement, mais vont accorder une bienveillance et tenter d’ouvrir des espaces de visibilité pour la compagnie ou vont même pouvoir apporter une aide en structuration et en méthodologie.
C’est cette harmonie qui nous semble nécessaire dans les rapports de partenariat. Il nous faut définir les cadres de collaborations plus clairement, afin de ne pas engager de frustration, ni d’être dépassé(s) par les attentes réciproques. Il est souvent constaté que ces liens sont rarement formalisés par des contrats d’engagement. Si cela peut sembler anecdotique, il est très important de poser sur le papier les engagements de chacun, cela permet une clairvoyance sur le chemin imaginé ensemble.
Lien entre artistes, programmateurs et publics
Le lien entre artistes, programmateurs et publics est à remettre au cœur de toutes les attentions. Il nous faut en prendre soin.
Les crises traversées par le secteur du spectacle vivant, hier, aujourd’hui et sans doute aussi demain, peuvent affaiblir notre bienveillance. Des espaces d’échanges sur nos pratiques et nos difficultés doivent être trouvés, surtout dans les moments où rien nous semble possible. Nous devons nous unir pour être force de propositions.
Nos cahiers des charges trop lourds, ne nous permettent pas toujours de dégager ces espaces d’attention et de bienveillance, aussi nous perdons en relation, et donc en sens. En résidence ou en diffusion, nous constatons que nous rencontrons que très peu les équipes des lieux d’accueil. En résidence, le temps est à l’efficacité et les compagnies plongent dans leur travail pendant que les équipes du théâtre continuent le leur. Serait-il possible d’imaginer une charte d’accueil pour intégrer des temps de rencontres et d’échanges qualitatifs, pour que nous puissions habiter ensemble le lieu dans une durée donnée par la résidence, la représentation ou l’association ? Au-delà de l’artistique, de la production ou de la diffusion, se recentrer sur l’humain, se connaître, vivre ensemble, prendre soin de la relation en cours de construction, tout cela nous semble essentiel.
Programmation en séries : un autre rapport aux équipes et aux publics
En diffusion, la représentation unique n’est pas non plus propice à la rencontre. Là aussi, nous sommes sur une optimisation du temps, où la compagnie arrive, joue et repart en moins de 48h.
Les représentations en séries permettraient d’habiter le lieu et d’envisager un autre rapport à l’équipe et au public. Pour donner de la place à ces espaces qualitatifs, il faudrait changer les curseurs, faire moins mais faire mieux, générer plus de souplesse dans les programmations et ouvrir les théâtres sur de plus longues périodes (vacances, week-end…).
U T O P I E S
Pour faire ensemble et installer un dialogue durable, il nous faut sans doute résister à la concurrence imposée par les rouages du secteur du spectacle vivant et s’extraire du système mercantile qui pèse sur la création. Il nous faut certainement réinjecter plus de liberté dans la création, porter une voix commune et valoriser notre conscience collective, en coordonnant davantage le secteur avec des personnes-ressources identifiées et des outils d’interaction plus dynamiques.
Nous rêvons les théâtres comme des lieux à vivre et à habiter,où l’on pourrait entrer à n’importe quelle heure, avec ses enfants, ses collègues ou ses amis, pour boire un verre, rencontrer un artiste, lire le journal, se protéger de la chaleur ou du froid, voir un spectacle, une exposition, participer à un atelier d’écriture, rejoindre un collectif de jardiniers qui aménage les abords, danser avec les partenaires, intervenir dans un débat, donner un coup de main au plasticien qui repense la signalétique, assister à une répétition publique, consulter internet, trouver un livre sur l’auteur en résidence, aider le designer qui conçoit un nouveau mobilier, manger un morceau, prendre part à une collecte d’archives pour une création en cours, s’inscrire à un atelier chorégraphique, jouer de la musique, écouter une conférence d’un spécialiste ou faire la fête….
Nombreux sont les lieux culturels qui organisent déjà ce type de rendez-vous. Mais la présence accrue d’artistes dans le quotidien des maisons de culture permettrait de varier les esthétiques et points de vue et de densifier cette présence du public extérieur à l’intérieur des lieux.
S’appuyer sur la créativité et le talent des artistes pour faire vivre un lieu, c’est inventer des voies inédites de gestion des espaces culturels. Partir de leurs projets, leurs envies, leurs folies, leur génie, c’est faire exister un théâtre en prise avec le réel, l’environnement, le politique. C’est créer une dynamique forte et prolifique. C’est faire confiance à la capacité des recherches artistiques, dans leurs radicalités et leurs approfondissements, à concerner des publics toujours plus divers.
Pourrions-nous imaginer des occupations temporaires par les artistes – considérées comme des temps forts – en lien avec un sujet d’actualité et une ligne artistique défendue indépendamment de la direction du lieu et indépendamment des objets de création ?