Lors des premiers échanges concernant les différents modèles de structuration utilisés par les compagnies de danse et leur possible refondation, il est apparu clairement la complexité qu’entraînent ces modèles, tant dans leur mise en place que dans leur gestion.
Les compagnies pointent le fait que leur fonctionnement et leur démarche artistique sont de fait contraints et impactés par la réalité économique d’un “marché de l’art” mouvant et concurrentiel. Le choix d’un modèle unique et stable semble donc illusoire, dans la mesure où chaque compagnie est un cas particulier avec des parcours et des temporalités d’évolution spécifiques.
Il paraît donc important qu’une réflexion de fond soit menée pour comprendre davantage, élargir et optimiser les modèles de structuration, dont les compagnies de danse disposent, pour mieux construire et protéger leurs choix artistiques, leur organisation interne et leur gouvernance.

Crédits photos | Regroupement compagnies de danse – AURA
CONSTATS ET PROBLÉMATIQUES
Associations loi 1901
Ce modèle de structuration est le plus répandu pour les compagnies, car il est le plus simple et le plus léger à mettre en place.
Cependant les modalités de gouvernance des associations ne correspondent pas tout à fait au fonctionnement réel d’une compagnie de danse. Ce constat, connu de tous, entraîne une disjonction entre réalité professionnelle et légalité.
En effet, alors que la direction légale et juridique d’une association est portée par le bureau, la direction du projet est quant à elle, en grande partie portée par la direction artistique. Ainsi, les membres du bureau – par défaut bénévoles – ont l’obligation d’assumer des décisions qui sont prises généralement au niveau des équipes ou de la direction artistique, dont le rôle reste légalement flou alors qu’elle jouit d’une considération de fait auprès des professionnels.
Cette dichotomie entre responsabilité légale et prise de décisions quotidienne peut créer du conflit, de l’anxiété et même empêcher un certain développement dans la structuration des associations, surtout dans le cas où le bureau est dit « fantôme » et que ses membres n’ont aucune implication réelle dans les prises de décisions.
De fait, une partie très importante du travail fournit par la direction artistique reste invisible et n’est que très rarement rémunérée. Il y a donc une confusion forte entre la fonction de chorégraphe et celle de directeur.trice artistique. Ce qui peut poser question en termes juridiques et notamment exposer les directions artistiques à un délit de gestion de fait.
Pourtant, le modèle associatif est très libre et permet une grande diversité de fonctionnement. Mais, d’une manière générale, les compagnies ont tendance à ne pas entamer de réflexion de fond sur leur gouvernance et d’assumer un choix associatif par défaut.
Collectif
Certains artistes se regroupent aujourd’hui sous forme de collectif. Ceci ouvre des nouveaux possibles quant au fonctionnement d’une compagnie. Malheureusement, ici encore, il y a une grande méconnaissance – au-delà du modèle associatif déjà très éprouvé – de la diversité des formes juridiques existantes qui peuvent permettre de structurer ces collectifs.
Pour en citer quelques-uns, les modèles de gouvernance en collectif pourraient s’inscrire dans des modèles coopératifs en SCOP ou en SCIC, GIPC, GIE, structures informelles… Il est intéressant de rappeler que chaque modèle a ses spécificités en termes de gouvernance, d’administration et de fonctionnement, mais aussi ses lourdeurs et avantages dans leur mise en œuvre. Il est non négligeable de rappeler que la structuration en collectif est encore un modèle marginal. Cette situation peut notamment faire naître des difficultés, quant à leur reconnaissance par les autres professionnels du secteur.
Bureau de Production
Il est à noter qu’aujourd’hui le recours aux bureaux de production est de plus en plus courant et malgré tout, ils ne sont pas assez nombreux pour assumer l’ensemble des demandes des compagnies qui souhaiteraient profiter de ce modèle d’accompagnement. D’autant plus que les bureaux sont aussi des structures non institutionnelles qui doivent structurer un projet viable en choisissant les artistes avec lesquels ils travaillent.
Les bureaux de production assument une partie du risque financier et structurel de la mise en place des projets des artistes, mutualisent leurs moyens, apportent leurs compétences et expériences. Ils permettent aux compagnies et aux artistes de se projeter pleinement dans l’artistique.
Néanmoins, il est à noter le rôle important que joue la confiance dans cette relation. Elle doit s’installer de manière durable pour instaurer une vraie relation de travail entre les porteurs de projets et les membres des bureaux de production. Dans l’absence d’une telle confiance, des situations de souffrance et de pression sur les équipes ainsi que la peur d’une réelle perte de liberté artistique sont évoquées.
Artiste – Auteur
Le passage de plus en plus fréquent entre les fonctions d’interprète et de meneur de projet fait naître aussi certaines problématiques. En effet, une quantité non négligeable de projets sont portés directement par des artistes-auteurs qui ne sont structurés sous aucune forme légale.
Leur talent et liberté de création sont, de fait, mis en situation d’exclusion. Nous privons ainsi les publics et l’ensemble de la profession du renouvellement des formes qu’ils peuvent générer. Nous nous privons de l’énergie et des projets que ces artistes-auteurs apportent à la société et nous les obligeons à manœuvrer à la lisière de la légalité pour faire exister leur travail. En effet l’accès aux espaces de travail, aux financements, aux concours et plateformes… sont largement conditionnés à une structuration préalable.
Structuration qui serait d’autant plus intelligente et efficace d’entamer a posteriori une fois que le travail de création trouve son univers, ses partenaires, les publics…
Compagnonnage
Dans les faits, il existe déjà des tentatives informelles de compagnonnage, par exemple entre compagnies plus et moins structurées, entre compagnies et artistes-auteurs sans structure…
Ces pratiques vertueuses peuvent être des solutions ponctuelles qui permettent d’accompagner les artistes plus jeunes, les projets émergents ou ponctuels, les compagnies moins structurées.
Mais elles peuvent – dans certains cas – être difficiles à mettre en œuvre financièrement et manquer de reconnaissance au niveau institutionnel.
Il faut tenir compte aussi que la charge de travail supplémentaire engendrée par une délégation de production est extrêmement conséquente pour une compagnie, qui doit déjà gérer sa propre structuration et ses propres projets.
Il est noté également la difficulté de faire comprendre et accepter ces compagnonnages au niveau institutionnel, car une compagnie est souvent identifiée sur la ligne artistique de ses auteurs. De plus, il existe une réelle complexité à valoriser ces projets dans les demandes de subventions ou de trouver des partenaires tiers qui puissent les soutenir financièrement et les mettre en valeur.
De surcroît, la concurrence entre compagnies, la surproduction ou les contreparties demandées peuvent rendre sa mise en œuvre difficile lors de certains partenariats. Ce sont autant d’écueils qui méritent une réflexion plus approfondie sur la notion de compagnonnage.
Production déléguée aux théâtres
Les théâtres peuvent aussi éventuellement assumer une délégation de production de la part d’un projet, d’un artiste ou d’une compagnie. Pour certains lieux, cette production déléguée fait même partie des missions propres.
Les problématiques liées à ce mode de relation sont proches de celles évoquées pour les bureaux de production. Avec ici, une exacerbation des tensions et des rapports de force qui peuvent exister entre les lieux et les artistes. La liberté de création peut donc souffrir cruellement du manque de confiance entre les partenaires.
Formation à la direction Artistique
Les écoles et les conservatoires qui forment avant tout des interprètes n’incluent pas dans leur parcours de formation, des apprentissages sur la dimension “administrative” inhérente à la gestion d’un projet ou d’une compagnie.
Et pourtant, il est aussi constaté que les élèves sortant de ces écoles assument sans contradiction leur avenir d’interprètes et l’envie de créer leurs propres projets de création. Les rôles entre chorégraphe, créateur et interprète sont aujourd’hui de plus en plus difficiles à délimiter.
Ainsi les futurs directeurs.trices artistiques le deviennent de façon autodidacte, ou bien passent par d’autres organismes de formation. Un accompagnement à court et moyen terme sur ces questions manque aux jeunes équipes artistiques.
Subventions et tutelles
Il est noté une difficulté d’accès aux subventions des jeunes artistes qui sont peu ou mal structurés. Il est mis en avant qu’il puisse exister un manque d’écoute et d’accompagnement dans le processus d’obtention des premières aides.
Plus largement, il est constaté que pour l’ensemble des compagnies, les formulaires et dossiers de subvention sont parfois inadaptés, lourds et difficiles à manier, ce qui est un frein à l’obtention de financements et fait naître des inégalités croissantes.
Il est noté également, les difficultés pour les structures qui accompagnent simultanément plusieurs artistes, de s’adapter aux cadres contraignants des demandes de subventions (par année, par projet, nombre de dates…). Ces difficultés peuvent générer le refus de soutien financier au motif d’un risque juridique élevé.
P E R S P E C T I V E S
Il faudrait permettre et faciliter la création de différents types de structures juridiques qui puissent porter un projet artistique. Dès lors, il est important que la reconnaissance de la diversité de ces modèles par les institutions soit claire et affirmée.
Il est aussi important de pouvoir mettre en place des liens moins conventionnels entre artistes, compagnies et lieux, par des nouvelles formes d’échanges facilitant cette reconnaissance des nouveaux modèles. Ainsi, cela permettrait de pouvoir accéder à des financements qui respectent ces interactions.
De surcroît, il est à prendre en compte que l’accès à la production d’un premier projet ne devrait pas être conditionné à la création simultanée d’une structure juridique. Le poids de la démarche administrative a tendance à écraser la démarche artistique.
Accompagnement de l’agence régionale AURA spectacle vivant
Le besoin de support et d’accompagnement de la part de l’agence a été fortement évoqué par les compagnies. Il existe déjà des modules d’accompagnement comme le mentorat pour les équipes de production et diffusion.
Mais nous pourrions travailler plus étroitement et plus largement avec l’agence sur les modes de structuration des compagnies de danse.
La rencontre – individuelle mais aussi collective – avec l’agence permettraient aux artistes et compagnies de mieux exprimer et partager leurs besoins, la réalité de leur activité au quotidien, les freins et incompréhensions qu’elles rencontrent. L’agence – de par son expérience et ressources – pourrait alors être davantage un levier pour la formation des équipes les plus jeunes et peu structurés, un soutien régulier pour les équipes déjà expérimentés et qui manquent de temps pour poursuivre leur formation, un partenaire privilégié pour permettre le partage des difficultés et besoins des compagnies avec d’autres professionnels du secteur.
Pourrait-on imaginer, pour chaque compagnie, la mise en place d’une bourse en nombre d’heures d’accompagnement et de suivi sur les questions de structuration et de gouvernance ?
Accompagnement des tutelles
Lors des demandes de subvention, il est pointé le besoin de faire exister un accompagnement sensible au parcours et à la temporalité de chaque artiste et compagnie.
Il est dit aussi, l’envie d’une meilleure coordination : d’une mise en place d’échanges entre les compagnies, les lieux et les tutelles.
Il est exprimé le souhait qu’il puisse exister un modèle de formulaire de demande de subvention unifié entre les différentes tutelles.
Une meilleure prise en compte des situations particulières de chaque compagnie semble être la clé et revêt une importance toute particulière dans l’attribution des financements.
Accompagnement des lieux
Il est important, dans l’attribution des co-productions, de prévoir clairement un accompagnement spécifique sur l’émergence (à la production, à la diffusion, à l’administration, à la technique…).
Alors que les jeunes compagnies sont à peine structurées, avec au mieux un.e chargé.e de production à temps très partiel, les lieux qui jouissent d’une équipe permanente et expérimentée pourraient porter une attention particulière à ces jeunes équipes.
Mentorat
Les compagnies mieux structurées pourraient également avoir un rôle d’accompagnement et de formation pour les compagnies émergentes. Le but étant de faciliter la mise en place des premiers projets, de structurer la solidarité entre pairs et de soutenir l’émergence au niveau des compagnies.
Ainsi, des financements spécifiques et incitatifs pourraient être envisagés pour les compagnies qui proposeraient cet accompagnement à la structuration, le partage et transmission de leurs compétences.
Formations
Il est possible d’imaginer des complicités et des filiations qui pourraient déjà se tisser entre les compagnies et les étudiants au niveau des écoles et des conservatoires, ou même des universités.
Ces complicités pourraient naître au cours de leur formation sur des durées conséquentes et avec comme objectif de rendre plus simple la découverte du secteur et la réalité quotidienne des métiers liés à la création. Mieux comprendre en amont le fonctionnement d’une compagnie serait un atout non négligeable pour les étudiants lors de leurs « premiers pas » professionnels. Ceci permettrait d’éclairer les choix de parcours notamment dans la structuration des futurs projets.
Dans tous les cas, il semble fondamental que les écoles de danse, les conservatoires, les écoles de management, les masters en projets culturels … s’emparent de ces questions et que les futurs artistes et professionnels de la culture soient mieux formés aux fonctions connexes au rôle de chorégraphe et au fonctionnement des compagnies.
U T O P I E S
Nous souhaiterions des modèles multiples, évolutifs, modulables, adaptables, afin de retrouver plus de souplesse dans la structuration administrative des compagnies. Nous souhaiterions imaginer d’autres organisations et fonctionnements que ceux aujourd’hui établis, en faisant valoir statutairement, contractuellement et / ou de manière légale la place du directeur artistique au sein d’une compagnie.
Nous souhaiterions imaginer une association / structure qui serait composée et codirigée par des artistes de domaines différents (chorégraphes, plasticiens, écrivains…) pour créer de la transversalité et de la complémentarité entre les disciplines.
Nous souhaiterions que les premiers projets ne soient pas nécessairement assujettis à la création d’une structure juridique et puissent être facilement hébergés par d’autres structures.